L’étonnante histoire des thés noirs du Yunnan

Chez les amateurs, s’il y a une famille qu’il ne faut plus présenter, c’est bien celle des thés noirs du Yunnan. Ils se déclinent en autant de grades et de qualités qu’il n’y a de jardins et de producteurs. Ces feuilles accompagnent souvent les dégustateurs autant dans leurs premiers pas que bien des années plus tard, lorsqu’ils se sont forgé un solide sens de la dégustation. D’aucuns y voient un incontournable mais peu savent qu’il s’agit avant tout d’un thé relativement récent créé dans le but de plaire aux palais occidentaux.

C’est au tout début du XVIIème siècle que les premières caisses de thé noir arrivent dans les ports européens. Celles-ci sont rapportées de Chine par les Compagnies des Indes Orientales – d’abord hollandaise et puis anglaise. Ces thés étaient alors produits dans la province montagneuse du Fujian (également productrice de thés verts et de Oolong).

Il ne fallu pas un siècle au thé pour devenir populaire en Angleterre. On dit souvent que cette popularité est due au mariage entre Charles II et l’infante Catherine de Bragance arrivée du Portugal avec l’habitude de consommer quotidiennement du thé. Dès lors, l’intérêt pour cette boisson ne fit que s’accroître en Grande-Bretagne se propageant des hautes strates de la société jusqu’au plus modeste des citoyens.

Cependant, cet engouement était accompagné d’une grande frustration : la Chine demeurait seule détentrice du monopole du thé. Les Anglais qui avaient accès à toutes les richesses imaginables grâce à la Compagnie des Indes ne pouvaient se résoudre à accepter cette situation. Ce fut l’une des causes du début des guerres de l’opium. Au terme de ces affrontements, les Britanniques avaient réussi à voler aux chinois de nombreux plants de théiers (qui allaient être replantés dans leur colonie indienne) et se voyaient – grâce au traité de Nanjin – maîtres du port de Canton et de Hong Kong.

Plus tard, vers 1876, une nouvelle famille de thé noir vit le jour. Après de longues et laborieuses années de fonction dans le Fujian, un mandarin du nom de Yu Ganchen retourna passer ses vieux jours dans son village natal de Qimen (province de Anhui). Là, il choisi de consacrer sa retraite à une passion qu’il avait découverte lors de ses années de travail : le thé et sa culture. C’est ainsi que naquis le Qimen Hong Cha. Ce thé avec ses notes animal, cuir et cacao allie parfum et puissance. C’est un thé parfois robuste qui a su plaire aux palais chinois. Il a également il également rencontré un grand succès chez les Britanniques qui avaient déjà pris l’habitude d’agrémenter leur thé de lait et de sucre.

Le thé de Qimen était acheminé de montagne de l’Anhui par voies terrestres jusqu’au port de Conton d’où il descendant la rivière des Perles jusqu’à Hong Kong. De là, il traversait les océans dans les cales des bateaux jusqu’en Europe (tout comme le thé du Fujian avant lui). Cette façon de faire perdura jusqu’en 1937 où la guerre sino-japonaise éclata.

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Ce conflit mit temporairement fin aux échanges entre la Chine et l’Occident. Les Nippons opérant un blocus sur la façade maritime chinoise et occupant Hong Kong dès 1941 l’envoi de marchandises devint compliqué. Heureusement, les Chinois ne sont pas des gens à court de bonnes idées. Si le thé ne pouvait pas sortir par les ports de l’est, alors il emprunterait le chemin du sud ! L’idée était simple : le faire passer au Viêtnam (alors colonie française) par la province du Yunnan.

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Toujours très pragmatiques, les Chinois eurent une seconde idée : produire des thés noirs directement dans cette région méridionale et créer un type de thé au profil particulièrement destiné à son public. C’est en partie pourquoi les thés noirs du Yunnan plaisent généralement davantage aux nouveaux amateurs de thé: ils sont nettement plus doux que les thés de Qimen ou du Fujian. Les Yunnan (également appelés Dian Hong en référence au nom de l’ancien royaume de Dian qu’était cette région) sont chocolatés (et non cacaotés comme les Qimen), miellés (et non cuir), fruités et vanillés. La façon de les manufacturer en beaux bourgeons dorés les rend fascinants et reconnaissables entre mille. Il est particulièrement amusant de se dire que ces délicieux thés – bien qu’également très appréciés et de plus en plus prisés des Chinois – ont été créés « rien que pour nous ».

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